Remarques sur la séance du 8 avril.
C’est désormais un truisme que de dire que libéralisme est devenu, en France, un « gros mot ». En qualificatif d’une politique, le terme suffit à la déconsidérer.
Pour tenter de sauver le « libéralisme », la stratégie adoptée consiste généralement a opposer le méchant « néo- ou ultra-libéralisme » (économique) au gentil « libéralisme classique » (politique). Le premier étant une dérive ou radicalisation illégitime du second. C’est cette stratégie de défense que Alain Laurent (Le libéralisme américain, Les Belles Lettres, 2006) entend démonter en posant la question de savoir ce qu’est le vrai libéralisme. Afin d’éviter une trop grande extension du concept qui le rendrait inopérant, il distingue ce qu’il appelle un libéralisme authentique (c’est-à-dire l’affirmation de la triple liberté individuelle, politique et économique assortie de la volonté de limiter la sphère légitime d’intervention de l’Etat) d’un libéralisme inauthentique, qui se présente comme du libéralisme, a le goût du libéralisme, mais n’est pas du libéralisme. Ce libéralisme inauthentique (qui trahit explicitement les idées précédentes) est le fruit d’une stratégie d’importation de la social-démocratie en Amérique, qui n’a pas voulu dire son nom (précisément pour favoriser cette importation). Ce trajet, qui débute en Angleterre (New liberalism de Mill, Green, Hobhouse, …) et se poursuit aux Etat-Unis (Dewey, Lippmann), se traduit par un « gauchissement » du libéralisme : la Théorie de la justice de Rawls en est l’aboutissement. C’est une telle « dérive étatiste » qu’entendront combattre les « néo-libéraux » américains qui, dans cette perspective, loin de représenter eux-mêmes, une « dérive du libéralisme » sont les héritiers les plus légitimes de son orthodoxie.
L’avantage de cette lecture est qu’elle permet de clarifier les antagonismes en identifiant avec précision les lignes de front. Elle permet d’éviter les malentendus suscités par le terme libéral : les libéraux américains (liberals) sont « de gauche », l’exact contraire de ceux que les Français disqualifient comme « libéraux américains », qui sont eux de droite et très peu libéraux (courant néo-conservateur). Son inconvénient est qu’elle décourage les tentatives de convertir la gauche française à la modernité (Monique Canto-Sperber). Elle n’envisage pas non plus l’idée d’une « transformation du libéralisme » (Alain Renaut) qui consisterait en la tentative d’intégrer les exigences de la justice sociale dans un schéma libéral (primat du premier principe sur le second). Bref, l’interprétation juste historiquement est philosophe-politiquement fâcheuse.
Pour éviter l’inconvénient sans abolir l’avantage, j’opposerai pour ma part (en suivant Gauchet, in Le Débat, 131, sept-oct 2004) un socle libéral (qui constitue le fonds commun des sociétés occidentales) et le libéralisme comme doctrine (qui offre plusieurs visages dans le paysage politique contemporain).
• Le socle libéral : il consiste pour l’essentiel dans la séparation de la société civile et de l’Etat. Ce qui signifie du point de vue de la liberté, trois choses : 1) la reconnaissance de la liberté individuelle des personnes privées, 2) la reconnaissance de la liberté politique des citoyens (d’expression, de réunion, d’association + les mécanismes politiques destinés à traduire institutionnellement ce système des droits = le gouvernement représentatif), 3) enfin la liberté économique (puisque la propriété est un droit fondamental et la possibilité de passer des contrats une des libertés de base).
• C’est à partir de ce socle libéral, partagé par toutes les doctrines politiques modernes, que le libéralisme comme doctrine se déploie spécifiquement, défendant le primat de la liberté individuelle sur l’égalité sociale. Mais, en son sein, les analyses divergent quant à l’interprétation qu’il convient de donner à ce socle. La diversité des formes de libéralisme réside, me semble-t-il, dans les différentes réponses apportées à cette question : qu’est-ce qui (principalement) menace la liberté ? C’est elle, qui permet de classer les différentes formes de libéralisme.
On pourrait ainsi tenter un petit inventaire des réponses :
— Si c’est l’absolutisme d’Ancien Régime, le libéralisme sera « de gauche » et insistera sur la nécessité de réduire les prétentions d’un Etat tutélaire (Locke).
— Si c’est le terrorisme révolutionnaire, le libéralisme sera « de droite » (non réactionnaire) avec la vocation d’éviter les dérives liberticides du gouvernement démocratique (Constant).
— Si c’est le socialisme ou le communisme, le libéralisme sera « de droite » avec le projet d’empêcher que la logique de l’égalité prenne le pas sur celle de l’égalité (Tocqueville).
— Si c’est le totalitarisme marxiste, le libéralisme sera « de droite » avec le projet de déconstruire la bureaucratie étatique (Aron).
— Si c’est l’Etat-providence, le libéralisme sera encore « de droite », mais porteur d’une tendance anarchiste visant à éviter les effets pervers d’une gestion centralisée et collective de la protection (Hayek, Nozick).
— Si c’est le capitalisme, le libéralisme redeviendra « de gauche », en mobilisant avec précaution les ressources de l’Etat et de la redistribution pour garantir les libertés (libéralisme social ou de gauche : New Labour de Blair ou néo-zélandais).
Au sein de ces réponses, la voie libérale orthodoxe est celle qui considère que l’Etat (qu’il soit absolutiste, totalitaire ou providence) est le principal adversaire de la liberté. La société possède un ordre interne à tous égards plus efficace et juste que celui que peut proposer le gouvernement étatique.
La question que l’on peut poser pour finir est de savoir si, entre l’Etat « cerveau de la société » et l’Etat minimal, réduit à la simple protection des libertés, une voie n’est pas envisageable pour un Etat « auxiliaire de la société civile » qui répondrait à ce double objectif : 1) Permettre aux individus de produire leur propre liberté ; 2) Assurer un minimum de représentation commune, comme le lieu d’autoréflexion de la société sur elle-même. Bref, l’urgence politique est-elle aujourd’hui de lutter contre un Etat liberticide ou de transformer l’action de l’Etat en repensant les conditions de son efficacité ?
PHT
2 commentaires:
est ce que la question que vous posez est celle de la charge éthique maximale ou minimale de l'Etat doit-il ou non porter une certaine charge éthique, donc se mêler de la question entre les individus, ou doit-il se limiter à l'action publique neutre et technique ?
Bonsoir,
Cela ferait un bon sujet de mémoire :-)
L'idéal serait de concilier Liberté au sens fort ( individuelle, économique et d'expression ), car on ne peut faire fi de la prédominance économique. Il y a peu, j'ai entendu dire que la france avait tendance à trop reflechir d'un point de vue économique. Par exemple : les J.O. Ou on analyse la situation face à la chine d'un point de vue de la liberté des individus, et en ce cas le gouvernement chinois est tyrannique, sans respect aucun des droits de l'homme ; ou on analyse la situation d'un point de vue économique qui fait hésiter quant à une prise de position face à la chine, en tant qu'existebt des enjeux economiques, politiques et mercantiles qui dépassent la conscience (subjective et collective ) des individus.
Une autre fois, j'avais entendu dire que la france, forte de son passé des Lumières, voulait à tout prix etre encore un modèle pour tous les autres pays. Modèle social, politique et economique. Mais à l'heure de la mondilisation, peut on encore s'exprimer en tant que "modèle" ? pusique un modèle, au sens français donc national, n'est somme toute qu'un cas particulier porté à l'universalité !
Ne pourrait-on, quitte à etre un "modèle", tenter de concilier bon sens populaire et Idées politiques ? Le gouvernement peut etre considéré comme un "parent" du peuple dans la mesure où un peuple a besoin d'un gouvernement pour établir ses propres limites. La liberté n'existe que par rapport à ses obligations. Ne pourrait on pas mieux interagir, entre gens et politiciens, tout en reconnaissant l'utilité de l'economie et celle des libertes individuelles ? Nous avons suffisamment connaissance ( pour quiconque n'est pas ou idiot ou ignorant ) des aléas de l'histoire humaine. Absolutisme, libéralisme, marxisme, droite / gauche, utilitarisme, monarchie, oligarchie...etc mais qu'en avons nous fait si ce n'est virer un gouvernement extreme pour en remettre un autre tout aussi extreme ? Je crois, personnellement, qu'à l'heure où la conscience humaine tend tellement à jouir de sa propre publicité, on ferait mieux d'opérer une sorte de mélange entre les désirs du peuple ( français en l'occurence, sinon ce serait trop trop complexe à dev ici ) en tant que libertés individuelles, les critiques intellectuelles en tant que libertés d'expressions et la nécessité de subvenir aux besoins economiques en tant que libertés écos...
On dit "peuple", "gouvernement". Aujourd'hui, certains aiment sarkosy parce qu'ils le trouvent "près du peuple, près des gens"...mais n'est ce pas là etre anesthésiés quant au role profond de la politique ? Autant avoir paris hilton à la présidence ! Je sais, je suis caustique, néanmoins cela m'afflige de réduire la science politique à une peopolisation médiocre. Quitte à utiliser l'image, la publicité et la rhétorique, autant que quelque chose d'intelligent en ressorte ! A quoi cela rime de réformer 36000 choses, au nom du "modèle" et de la "modernité" si c'est pour récupérer du fric étatique au détriment de la vie des gens ?!
Le libéralisme peut etre considéré comme l'héritage de l'humanisme. Or, actuellement où la pub a pris le dessus sur l'humanité ( et le respect d'autrui ), je crois qu'il est temps de concevoir une nouvelle forme d'indépendance individuelle et politique qui permettrait de ne pas refaire les memes erreurs... Evidemment, il s'agit peut etre là d'une idéalisation totale et bien naive du rappport entre société et gouvernement...mais c'est peut etre à méditer non ?
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