vendredi 21 mars 2008

Pourquoi la démocratie n'aime pas le pouvoir

Introduction à la Séance du Collège de Philosophie du 29 mars 2008


« Qui voudrait encore gouverner ? Qui voudrait obéir encore ? Ce sont deux choses trop pénibles.» Nietzsche, Ainsi parlait Zarathoustra, § 5 dit «Le dernier Homme».


Et si la définition de la démocratie n’était pas « le peuple au pouvoir ou le pouvoir au peuple, mais le peuple contre le pouvoir » ?
La critique certes est ancienne ; longtemps, le terme de démocratie a été synonyme d’anarchie : depuis Platon, au moins. Mais cette critique prend une ampleur tout à fait inédite dans le contexte moderne dans la mesure où la démocratie n’est pas, pour nous, un régime parmi d’autres possibles. Elle est, comme l’a montré Tocqueville, notre mode d’être au monde : même si c’est peut-être illusoire, nous nous pensons spontanément comme des êtres autonomes, maîtres de notre destin. Nous vivons avec cette conviction inébranlable que « chaque homme, étant présumé avoir reçu de la nature les lumières nécessaires pour se conduire, apporte en naissant un droit égal et imprescriptible à vivre indépendant de ses semblables, en tout ce qui n’a rapport qu’à lui-même, et à régler comme il l’entend sa propre destinée » (L’état social… , in AR&R, GF, p. 80) En constatant aujourd’hui l’impuissance démocratique, on ne dénonce pas seulement le désordre qu’elle provoque (la démagogie, la médiocrité, l’inefficacité, …), mais son incapacité à réaliser ce qui est son projet par excellence : être le gouvernement de l’autonomie.
Il avait fallu beaucoup de temps et de doctrines pour que l’idée d’un gouvernement du peuple exercé par le peuple apparaisse plausible et réalisable : il avait fallu — et je cite sans exhaustivité — la constitution de l’Etat moderne rationalisé, l’autonomisation de la société civile, l’installation du régime de la représentation, la diffusion de la laïcité, la pacification des mœurs, la pratique intégrée de l’espace public, l’échec des totalitarismes, l’avènement de l’Etat providence à la fois protecteur et respectueux des libertés, …
Et encore faut-il noter que, tout au long de ce processus, les reproches adressés à la démocratie (à sa médiocrité, à son incapacité, … ) n’ont jamais cessé.
Cette longue histoire laisse une impression étrange, voire tragique, où l’échec apparaît contemporain de la réussite. La fin de l’histoire n’est pas triomphante. Aujourd’hui, la démocratie : tous ceux qui ne l’ont pas en rêvent ; tous ceux qui l’ont, la détestent. Jamais la célèbre formule de Churchill n’a semblé aussi juste : elle est le pire des régimes à l’exception de tous les autres.
Si cette formule est particulièrement forte aujourd’hui, c’est aussi, il faut le noter, parce que les discours prônant un ailleurs ou un après de la démocratie ont eux aussi quasi disparu. Si tous s’accordent sur un plus de démocratie ; personne n’est plus prêt à s’engager dans un autre que la démocratie.

Les discours les plus radicaux (mais très marginaux) qui sont sur le marché des idées ne sont de ce point de vue guère plausibles :
• Une tendance « néo-anarchiste » qui verrait dans l’impuissance démocratique le signe d’une transformation finalement positive de la politique : les sphères de décision ne seraient plus hiérarchiquement ordonnées, mais fonctionnellement articulées en un système de pouvoirs multipolaires (N. Luhmann ou U. Beck).
• Une tendance « néo-terroriste » qui, à partir du constat de l’échec des démocraties libérales-molles à prendre en charge les défis du moment (environnement, exclusion, biotechnologies, …), plaiderait pour un retour temporaire (comme toujours !) à la violence révolutionnaire (Zizek, Badiou).
Rien de bien nouveau. Tout se passe comme si la démocratie avait épuisé ses critiques en même temps que ses ressources.

Dans ce contexte, comment comprendre aujourd’hui l’impuissance démocratique ?
Telle est la question qui sera adressée à Luc Ferry et Marcel Gauchet lors de la séance de samedi.

ED & PHT

1 commentaire:

Anonyme a dit…

En guise de proposition, une réflexion à partir de la notion de réseau comme manière de contenir le pouvoir tout en repensant l'action politique dans un cadre démocratique lui-même repensé : http://yannickrumpala.wordpress.com/category/reseaux-et-rhizomes/