La fonction présidentielle
Entretien avec Pierre-Henri Tavoillot paru dans L’Express (10-16 janvier 2008)
- En quoi la manière dont Nicolas Sarkozy exerce la fonction présidentielle marque-t-elle un tournant pour la politique ?
- Ce qui est déconcertant, c’est qu’il donne simultanément l’impression de la renforcer et de l’affaiblir. Il la renforce par sa pratique des institutions et son omniprésence médiatique ; mais il semble aussi l’affaiblir en faisant un pas de plus dans la désacralisation et la désymbolisation du pouvoir. En fait, il s’installe au cœur de ce qui est le paradoxe de l’homme politique depuis la Révolution française : d’un côté, il doit être un homme ordinaire qui exerce un job ordinaire ; de l’autre, il doit être un guide, un « élu », qui répond à un appel ou, pour reprendre la terminologie de Max Weber, à une vocation. Régis Debray, dans son De Gaulle, écrivait : « Le démocrate aime l’homme, il n’aime pas les grands hommes. Ceci, parce que cela. » C’est puissant, mais peut-être pas totalement juste, car le démocrate conserve une sorte de nostalgie de la « grandeur ». C’est la grande préoccupation de nos présidents ; celle qui minait Mitterrand, angoissait Chirac, et qui taraude et taraudera de plus en plus Nicolas Sarkozy : comment être grand dans la médiocrité démocratique ? Quant à nous, citoyens, nous voulons à la tête du pays des hommes qui nous ressemblent, et en même temps des grands hommes qui nous transcendent !
- Comment Nicolas Sarkozy tente-t-il de résoudre cette contradiction ?
- La résoudre est impossible ; tout au plus peut-il trouver un équilibre. Son diagnostic est clair : notre pays est dans une impasse, celle de l’impuissance publique. Contraintes économiques, mondialisation, fonction hyper-critique des nouveaux médias : tout cela remet en cause le pouvoir démocratique et son idéal d’une maîtrise par le peuple de son destin. Sarkozy a promis de reprendre la main : le volontarisme est affiché dans la mondialisation ; des promesses —, assez peu libérales, soit dit en passant — sont faites dans le domaine économique ; et vis-à-vis des médias, son hyperactivité les oblige à suivre, car c’est lui qui dicte l’agenda.
- Etre à ce point un président people, est-ce inédit ?
- C’est une stratégie ancienne, que Giscard d’Estaing avait inaugurée afin que le politique ne paraisse pas trop éloigné de la vie quotidienne. Car la « pipolisation » a des aspects démocratiques : une star vit une vie extraordinaire, dont on s’aperçoit qu’elle est extrêmement ordinaire, avec ses chagrins d’amour et ses ruptures. Sarkozy, président people, c’est la mise en scène à la fois de la réussite et de l’égalité : bref, c’est humain.
- La personnalisation du pouvoir présidentiel est-elle facteur de progrès démocratique ?
- L’élection, si spectaculaire, de 2007 a montré l’attachement des citoyens à cette personnalisation. Cela dit, le chef de l’Etat n’est plus le « cerveau de la société », mais une personnalité en laquelle la société se réfléchit, dans tous les sens du terme. Face à l’impression de dispersion, voire de disparition des pôles de décisions, Sarkozy a misé sur le besoin d’une réincarnation du lieu des débats et des grands choix. Evidemment, il se met aussi dans une situation délicate, en première ligne. Comment cela pourra-t-il durer une fois que le souffle de l’élection se sera dissipé ? Comment affrontera-t-il les échecs électoraux ? C’est là qu’on pourra voir si l’équilibre tenté tient la route.
Propos recueillis par Eric Mandonnet
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