Entretien avec PHT paru dans Rue Saint-Guillaume (n° 158, avril 2010)
Comment qualifieriez vous la génération des 30-40 ans?
J'éprouve un certain malaise à parler de génération la concernant. Pour faire une génération, il faut à la fois un événement historique et une conscience, qui accompagnent le passage à l’âge adulte. On parle ainsi de la génération de la Résistance, de la génération 68, sorte de « résistance à la Résistance ». Mais comment définir les 30-40 ans d’aujourd’hui ? Pour elle, aucun marqueur fiable, aucun drame fondateur. Doit-on parler de génération internet ? De génération i pod ? De génération « Y » ? Ce sont souvent là des formules de publicitaires en quête de tendances. Nos sociétés vivent à l’écart des drames historiques. C’est sans doute temporaire, mais cela explique l’épuisement actuel du fait générationnel … en attendant la fin de « la fin de l’histoire ».
Est-ce à dire aussi que les 30-40 ans sont des individualistes forcenés.
Je ne crois pas. Car s’il n’y a pas de communauté historique de destin pour cette classe d’âge, il y a une similitude existentielle. 30-40 ans, c’est un moment très particulier de la vie. C’est l’entrée dans l’âge adulte, au cours de laquelle, en très peu de temps, il faut faire face à tous les défis : fonder une famille, faire carrière, être performant dans tous les domaines, même dans ses loisirs ! Et tout cela, avec une exigence de bonheur sans doute bien plus puissante que jadis. Cette phase réputée hyperindividualiste, est sans doute celle sur laquelle pèsent le plus de responsabilités [avec une énorme concurrence des temps privés et professionnels].
On entend pourtant beaucoup se plaindre cette classe d'âge. Notamment au sein de l'entreprise où elle guette les départs en retraite des baby-boomers.
Le scénario d’une guerre des âges me semble insuffisant. Il y a bien une lutte des places dans l’entreprise ou en politique, avec une génération 68 qui aspire à ne rien lâcher. Mais l’ambition a aussi élargi son registre : elle vise moins le seul pouvoir qu’un épanouissement plus global de l’existence. Réussir dans la vie ne semble plus une garantie absolue de réussir sa vie.
La guerre des générations n'est donc pas d'actualité.
En effet. D’abord parce qu’il n’y a plus de génération. Et ensuite parce qu’on observe une solidarité sans cesse croissante entre les âges dans le cadre familial. L’aide quotidienne (coups de main, garde d’enfants, …), financière (donations et transferts) et « réticulaire » (faire bénéficier ses proches de son réseau) ne cesse de s’accroître . Loin de disparaître, la famille s’est dotée d’un nouvel esprit qui se renforce et dont les 30-40 sont à la fois objet et sujet.
Le plus bel âge donc ?
Pas forcément, car il est traversé aussi par la fameuse « crise du milieu de la vie ». Si on n'a pas atteint ses objectifs professionnels, familiaux- on se dit que c'est trop tard. Et si on les a atteints, on se demande ce qui reste à faire. C’est l’âge de ce que les théologiens appelaient le « démon de midi», forme de mélancolie submergée par la question : "A quoi bon ?" L'ermite répond à cette angoisse et à la nausée qui l'accompagnent par une bonne sieste, prélude à la sérénité du soir …
Comment gérer le plus sereinement possible cet âge de la vie ?
Les Grecs comparaient la vie (bios) à un arc (bios). Et Aristote considérait que l'on atteignait le sommet à 35 ans pour le corps et à 49 ans « environ » pour l'esprit. Aujourd'hui, nous refusons de voir un sommet à notre vie. On considère toujours que l'on sera plus performant demain, sur le plan physique et intellectuel d'ailleurs. Notre summum est repoussé jusqu'à la mort. Cela aide peut-être à (oublier de) vieillir mais cela fait de nous d'éternels insatisfaits.
Propos recueillis par Laurent Acharian (CRH 2000)
2 commentaires:
Ce n'est pas la génération de la guerre ou de la révolte mais celle du sida, de la fin des illusions et des idéaux. Cette génération vit le drame au quotidien sous forme de "vide d'espérence". Elle bénéficie aussi de parents post soixante-huit, qui partagent les mêmes cultures et moeurs, il y a moins de rupture artistique...
peut-être la génération de la fin (temporaire) des générations …
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