En 2003, à la veille de la célébration du Bicentenaire de l’Indépendance d’Haïti, une demande en ce sens avait été formulée, le Président français d’alors, M. Jacques Chirac, profitant des dissensions internes, lui avait opposé une fin de non-recevoir.
Aujourd’hui devant l’urgence de la situation que connait Haïti suite au séisme du 12 janvier 2010, cette question doit être remise sur le tapis.
D’ici à mercredi, nous avons besoin de réunir un millier de signatures pour que la pétition soit recevable. Votre signature est fondamentale car elle peut faire la différence.
Une fois que vous aurez apposé vos noms et prénoms au bas de cette pétition, nous vous prions de la faire circuler dans vos réseaux à partir de votre courrier, en nous mettant en copie conforme, à l'adresse e-mail suivant: haitirenaissance@gmail.com ou directement à partir du lien : http://www.ipetitions.com/petition/restitution_1825_reconstruction_haiti_2010/
Merci pour votre collaboration et cordiales salutations.
Restitution de la dette de l’Indépendance pour la Reconstruction d’Haïti.
Pétition internationale citoyenne à l’occasion de la visite en Haïti
du Président de la République française Nicolas Sarkozy.
Depuis le 12 janvier 2010, suite au terrible séisme qui a ravagé Haïti et fauché la vie de plus de 200.000 personnes, le malheur d’Haïti est porté au devant de la scène internationale. Passées l’émotion forte et la compassion des premiers moments, il faut penser à la reconstruction d’Haïti et surtout aux moyens financiers à mobiliser en vue de cette reconstruction.. Les premières estimations avancent le chiffre d’une dizaine de milliards de dollars pour une première relance. Où le pays va-t-il trouver ces fonds ?
Le président français, Nicolas Sarkozy, sera en Haïti le 17 février prochain. Première visite d'un chef d’État français sur le sol d’Haïti depuis son indépendance, c’est l'occasion de revenir sur le sujet de la restitution de la dette de l’indépendance crucial, tant pour Haïti (ancienne colonie française qui fut son grenier durant tout le 17eme et le 18eme siècles) et la France que pour l’Humanité tout entière.
De manière systématique, les médias occidentaux se plaisent à rappeler à la face du monde qu’Haïti, ancienne colonie française et premier État Noir du monde, est le pays le plus pauvre de l’Hémisphère, sans expliquer les causes profondes de cette pauvreté.
Haïti est le deuxième pays indépendant d’Amérique après les États-Unis en 1776. Ironie du sort, le premier est aujourd’hui économiquement le plus puissant de la planète ; le second est le plus pauvre du continent. Cela n’est pas le résultat d’une fatalité ni d’une malédiction.
Après avoir subi les affres de l’esclavage et du colonialisme de 1492 à 1803, au cours de la première moitié du 19e siècle et jusqu’en 1946, la jeune nation haïtienne a été contrainte de payer un tribut à la France pour être reconnue par la communauté internationale esclavagiste et colonialiste à l’époque.
Ce tribut, fixé d’abord à 150.000.000,00 Francs or, par la suite réduit à 90 millions, a été versé jusqu’au dernier centime par la premier État Noir à la patrie des Droits de l’Homme. Que cela soit au point de vue économique, social, voire écologique, les conséquences de cette dette odieuse et colossale sur le développement du pays ne sont plus à démontrer. Tous les historiens s’accordent à dire que cette rançon imposée par le fort au faible a hypothéqué le devenir haïtien. Par la suite, des jeux de l’impérialisme et du racisme blanc, l’île, jadis, la plus riche et la plus prospère sombra dans la misère et dans l’incapacité de construire une économie florissante.
Comme l’écrivait déjà en janvier 2004 Louis-Philippe Dalembert, la France n’est pas sortie grandie de cette dette immorale et inique. Ainsi, aujourd’hui plus que jamais, alors qu’Haïti est à nouveau à la croisée des chemins de la reconstruction nationale, la nécessaire question de la Restitution de la dette de l’indépendance, déjà soulevée en 2003, est à l’ordre des priorités pour donner à cette République de la Caraïbe un nouveau départ.
Aujourd’hui, plutôt que de miser sur les hypothétiques investissements de capitaux étrangers ou sur les prêts du FMI ou de la Banque Mondiale et sur la raison mercantile capables de redynamiser l’économie haïtienne et de favoriser la reconstruction du pays, il nous semble nécessaire d’exiger de la France qu’elle rembourse à Haïti la rançon équivalent à 21 milliards (estimation en USD, 2004) qu’elle a reçue de 1825 à 1946.
Il ne fait aucun doute que la restitution de ces fonds pourrait constituer un complément substantiel à la politique de reconstruction et de développement d’Haïti. Avec cet argent, la nation haïtienne pourra ériger des écoles, des hôpitaux, des logements sociaux respectant des normes parasismiques, des universités. Des infrastructures de communication, des routes, des ponts, des barrages, des canaux d’irrigation, des centrales électriques à énergie renouvelable pourraient être réalisés. On pourrait enfin envisager sérieusement la relance de l’économie nationale: recapitalisation de la paysannerie, de l’artisanat, de l’agro-industrie, et de l’industrie locale pour redynamiser le marché national, la nourriture deviendrait abondante et l’idéal de sécurité alimentaire serait atteint...
Voila pourquoi nous exigeons la restitution de la rançon payée par Haïti à la France pour la reconnaissance de son indépendance à partir de 1825. Comme cela a été déjà signalé, cette somme est due par la République de France à la République d’Haïti. Il s’agit maintenant de discuter des formes de remboursement.
Dans la grande tradition révolutionnaire des 18e et 19e siècles, la République française a toujours manifesté une volonté d’être à l’avant-garde de l’histoire humaine universelle ! Que cela soit l'occasion de la mettre à l'épreuve de son passé colonial esclavagiste et de sa volonté de rupture avec cette partie sombre de son Histoire.
En restituant à Haïti ces fonds injustement spoliés, la France peut aider Haïti à reprendre en main sa destinée et à mettre fin, en toute autonomie et dans la dignité, à l’insupportable souffrance, et ce sans avoir pour cela à liquider son histoire, son héritage et sa fierté. Ce ne sera que justice !!!
Réponse de Pierre-Henri Tavoillot
Cher Fritz Calixte,
Je vous remercie de votre message. Vous savez combien le sort d'Haïti me préoccupe et l'affection qui me lie à ce pays que j'ai découvert il y a quelques années à l'occasion d'un séjour d'enseignement. Le récent séisme m'a profondément bouleversé et je m'efforce aujourd'hui de trouver les moyens de faire en sorte que la mobilisation émotive des premiers jours se poursuive par des actions durables. Néanmoins, en dépit de cette profonde sympathie, je ne peux me joindre à votre démarche de demande de restitution.
La dette de l'Indépendance était abjecte, la responsabilité de la France dans les difficultés actuelles d'Haïti est incontestable, mais je crois qu'en demander la restitution est une erreur. Il y a, vous le savez, beaucoup de discussions et d'arguments sur cette question des « réparations », au moins depuis celles, fameuses, que l'Allemagne était censée devoir à la France à la suite de la Première guerre mondiale.
J'ai tiré de l'examen de ces arguments un certain nombre de réserves, dont je vous livre la principale. Un tel remboursement pourrait laisser croire qu'il s'agit d'une affaire purement comptable et que la responsabilité d'un crime pourrait s'effacer par un simple virement bancaire, tout comme la séculaire tragédie d'Haïti. Mais c'est parce qu'elle a commis cette abjection que la France a une responsabilité et un devoir particuliers à l'égard d'Haïti. C'est au nom de cette faute qu'on doit exiger que l'aide soit plus importante, et non dans l'espoir vain d'un remboursement, dont vous savez bien qu'il ne fera pas de miracle quel que soit son montant. Car on ne peut pas demander au droit de refaire l'histoire, — c'est même extrêmement périlleux — ; on doit seulement veiller à ce qu'il puisse l'accompagner de la manière la plus juste possible. Etre vigilant sur le montant et l'efficacité de l'aide sans exiger le remboursement de cette dette indigne, voilà la ligne de conduite qui est la mienne. C'est la principale raison pour laquelle je ne puis m'associer à votre démarche, malgré toute la sympathie et l'affection que j'éprouve pour la cause que vous défendez. J'espère que vous ne m'en voudrez pas.
Bien cordialement,
Pierre-Henri Tavoillot
Cher Tavoillot,
Je viens de lire votre échange avec mon ami Fritz Calixte. C’est toujours pour moi un plaisir de vous lire. Je suis très content de lire votre argumentaire concernant la pétition que nous avons formulée et votre idée m’a incité à approfondir davantage mes réflexions. Je vous livre ici ma pensée.
Sans doute est-il bien des façons de s’interroger sur l’applicabilité des questions de justice historique ou de justice globale. Je voudrais bien quand même avancer pour quelles raisons, même si votre argumentaire me parait très juste dans sa portée, il ne me semble pas devoir s’appliquer au cas d’Haïti.
En effet, j’ai l’intime conviction qu’une demande de réparation pour l’esclavage en des termes comptables serait plus qu’une erreur, ce serait une faute morale. Mais voyez-vous cher Tavoillot, notre démarche ne s’inscrit nullement dans une telle perspective. On s’y oppose même. On a pris le soin de ne pas parler de réparation dans la formulation de cette demande, mais bien plutôt de restitution. La raison en est simple. Il ne s’agit pas de demande formulée pour les trois siècles d’esclavage qu’a connu Haïti, ce qui se situerait dans la droite ligne de la demande de réparation et laisserait « croire qu’il s’agit d’une affaire purement comptable et que la responsabilité d’un crime [en l’occurrence ici le crime contre l’humanité] pourrait s’effacer par un simple virement bancaire ». S’il s’agissait de cela, vous auriez tout à fait raison. Tout au moins, s’agit-il ici que de restitution au sens juridique premier de « action de rendre ce qu’on possédait indûment » ou de remise à leurs propriétaires d’objets détournés. Qu’est ce qui permet de justifier cet argument historico-juridique ?
La révolte des esclaves Haïtienne éclata en 1791 dans le sillage de la révolution française de 1789 et Haïti proclame son indépendance en 1804 après une guerre longue de 13 années. Pendant vingt ans à la suite de son indépendance proclamée, Haïti est l’objet d’un blocus international et résiste aux divers assauts de rétablissement de l’esclavage par la France (exploit haïtien rendu possible aussi par l’affaiblissement des puissances navales -France, Espagne, Angleterre -qui se battent aussi entre elles pour le contrôle des mers).
C’est dans ce contexte que la rançon de l’indépendance va se mettre en place en 1825. Charles X accepte de reconnaître l’indépendance d‘Haïti moyennant le versement de la somme de 150 millions de francs or, et d’autres décisions de tarifs préférentiels (réduction de moitié des taxes douanières) dans le commerce avec la France, sous la menace grandissante de canons qui devaient favoriser le rétablissement de l’esclavage. Or –d’où le moment historico-juridique central de mon argument- la France avait signé en 1815 un traité (le traité de Vienne) qui stipulait l’interdiction de réintroduire l’esclavage là où il avait été aboli, comme en Haïti. Donc, l’ultimatum de Charles X à Haïti de signer la reconnaissance de dette de l’indépendance sous menace de réintroduire l’esclavage était illégal au regard même de la loi Française.
Ainsi, ce qu’on demande de restituer n’est pas tant une somme d’argent hypothétique, un vil prix qui serait mis sur la souffrance de trois siècles de déportation et d’esclavage. Il s’agit donc - à côté des gestes de réparations morales nécessaires pour la mémoire partagée et lourde de signification dans l’histoire des deux peuples - de la remise d’une somme extirpée illégalement d’un peuple sous la menace des canons.
En effet, cher Tavoillot, je pense que pour ma part, formuler la demande de restitution dans ce cadre que je viens de préciser, permet précisément d’échapper aux difficultés que vous avez justement soulignées. Aussi, voudrais-je verser au dossier un autre élément technique de politique internationale, élément dont l’analyse m’incite à préférer la restitution à l’aide internationale dans le cas d’Haïti. Depuis que je réfléchis sur la question du sens de l’aide au développement dans le contexte postcolonial de la justice globale, je me fais la conviction que l’aide au développement, comme remède au sous-développement, est pire que le mal. En effet, quand on analyse le mécanisme du système de l’aide internationale, on en trouve trois paramètres parfaitement enchevêtrés et qui constituent un cercle vicieux qui empêchent aux pays pauvres de se développer.
Premier paramètre : le don. Le don, dans l’aide internationale est tout ce qu’on reçoit sous forme d’assistance humanitaire. Ainsi les médicaments, la nourriture, le travail des experts internationaux etc. Si le don peut se révéler important dans des situations catastrophiques, il peut se révéler également redoutable comme arme de conquête de marché par les grandes puissances. Pour vous donner un exemple, les Etats-Unis ont fait dons très généreusement à Haiti de beaucoup de riz pendant la décennie de la fin des années 80 et 90. Conséquences : le riz américain remplace la culture vivrière haïtienne en sorte qu’aujourd’hui nous dépendons à 75% du marché américain pour notre approvisionnent en produit rizier. On ne peut plus se passer du riz de Miami tout en ne cultivant plus ou presque de riz en Haiti.
Deuxième et troisième paramètres : le prêt et le service de la dette générée par le prêt. Le prêt contracté en général auprès des institutions de Bretton Woods (BM et FMI) permet aux petits pays de financer des projets de leur développement. Cependant, le conditionnement du prêt (ajustement, privatisation etc.,) est tellement paramétré par les intérêts des grands pays dans le cadre du libéralisme économique, que le prêt à l’arrivée ne fait que grossir la dette des petits pays. Et c’est à ce niveau que se met en place le service de la dette, un cycle infernal de somme faramineuse où les pays pauvres financent pour beaucoup le niveau de vie élevé des pays riches. Dans ce sens, bien souvent il s’avère préférable pour les institutions internationales d’annuler une dette au lieu d’en annuler le service, c'est-à-dire l’intérêt que leur doivent les pays pauvres.
Dit en termes concrets par rapport au cas d’Haïti, le président Nicolas Sarkozy vient de promettre une aide substantielle de 326 millions d’euros à Haïti. Il promet aussi d’annuler la dette d’Haïti envers la France qui est de 53 d’euros. En général qu’est ce que cela signifie ? On ne sait pas à combien s’élève le service de la dette dont l’annulation n’a pas été annoncée. Mais aussi pour les millions promis, on ne sait pas quel montant sera alloué sous forme de don, ni quel montant sera disponible sous forme de prêt. En fait, le système de l’aide internationale dans le contexte du libéralisme économique des institutions financières depuis plus d’un demi siècle d’existence n’a jamais permis à aucun pays de se développer. Or, Haïti a besoin de 14 milliards de dollars pour sa reconstruction. Ce ne sont pas les quelques centaines de millions promis dans le cadre du fonctionnement du système international qui vont faire une différence. J’en veux pour preuve : la diapora haitienne envoie chaque année en Haïti, en termes de transfers d’argent 1.6 milliards de dollars. Malgré l’importance de cette somme pour l’économie nationale qui représente 4 fois plus que ce que promet le président Sarkozy, elle ne peut pas assurer le développement.
De ce fait, Il faut sortir de la dépendance de l’aide internationale. Dans ce sens, la restitution ne pose pas d’objection morale puisqu’il ne s’agit pas de racheter la souffrance des anciens esclaves, mais de remettre à l’Etat Haïtien une somme d’argent dont tous les documents juridiques attestant de son versement illégal à l’Etat Français sont intacts et consultables. Néanmoins, sur le plan de l’économie morale, ce procédé peut aider l’Haïtien à sortir de la misère abjecte et à consolider davantage sa dignité d’être humain.
Au demeurant, les modalités du remboursement de la dette de l’indépendance doivent être pensées en fonction d’exigence fondamentale d’accompagnement du peuple haïtien dans son développement. Comme vous l’avez signalé cher Tavoillot, un montant de remboursement, quel qu’il soit, ne va pas faire de miracle. Voilà pourquoi pour ma part, je pense qu’au-delà mes mécanismes traditionnels d’aide au développement, il faut imaginer d’autres formes de coopération durable et efficace dans le cadre de la restitution. Par exemple, une coopération universitaire plus étroite entre la France et Haïti peut être une forme, un moment fondamental dans le processus de restitution. Je me considère par ailleurs comme un bon exemple de ce qu’un système de coopération clairement définie peut apporter à Haïti. Une partie de la jeunesse de ce d’Haïti peut bénéficier d’une politique cohérente et intelligente de restitution et, suivant d’autres modalités de réparations dont les principes ne sont pas antinomiques aux valeurs de la modernité.
Je me souviens comme si c’était hier, il y a un peu plus de dix ans maintenant, le professeur Renaut est venu en Haiti pour faire son séminaire de philosophie morale et politique. A cette époque, mes autres camarades de l’ENS de Port-au-Prince, on brûlait d’envie d’apprendre, mais on était malheureusement fortement soumis à un discours dogmatique, un marxisme sans le moindre vrai recul ou esprit critique. A la suite du séminaire de M Renaut, vous êtes venus en Haïti pour faire votre séminaire et c’était la première fois que nous étions exposés de façon intensive aux trois critiques de Kant, aux débats de philosophie éthique et politique dans la postérité du criticisme (Rawls, Habermas, Taylor…). Par la suite, les meilleurs d’entre nous étaient choisis par Bérard et nous avons été accueillis à suivre les cours à Paris. Cela a apporté une énorme révolution dans nos vies respectives. N’était-ce cette perspective ouverte pour le professeur Renaut et vous, je serais encore en Haïti, comme la plupart des jeunes de ma génération , à détester la France , et à la condamner moralement pour la misère d’Haïti, tout cela bien trempé dans un marxisme des éditions de Moscou dont Port-au-Prince était rempli. Je ne saurais donc aujourd’hui vous dire combien je vous dois à vous et au professeur Renaut. Il faut, à travers une politique de restitution, concevoir aussi ces genres de coopération universitaire qui peuvent offrir une perspective d’avenir à de jeunes Haïtiens. Pour le reste, même si je suis d’accord avec vous qu’« on ne peut pas demander au droit de refaire l’histoire », je voudrais toutefois souligner un passage que j’ai dû apprendre avec vous en faisant ma licence, qui se trouve dans je ne sais plus quel texte de M Renaut… « le droit doit demeurer comme le moment d’universalité fonctionnant à la fois comme critère de référence pour juger de la justice des lois positives ou comme horizon ou principe régulateur du politique… [et de l’histoire, (c’est moi qui ajoute)] »
Très amicalement,
Josué P.
Cher Josué,
Merci de votre réponse et de votre analyse qui m'éclaire en effet sur les intentions et les motifs de cette pétition en distinguant restitution et réparation, ce qui me paraît judicieux. Je n'avais de toute façon pas douté que votre démarche n'ait été mûrement réfléchie et solidement argumentée. Et c'est pour moi avec la fierté de l'ancien professeur que j'apprécie la fermeté de votre analyse.
J'aimerais cependant poursuivre cet échange en distinguant plusieurs niveaux d'argumentation : moral, juridique, économique et politique.
1) Sur le plan moral, je crois que l'accord est total sur la prémisse : la France, en exigeant une rançon d'indépendance a commis un crime. Pour utiliser une analogie (peut-être un peu paternaliste dans son esprit), c'est comme si un parent exigeait, au moment où son enfant part voler de ses propres ailes, le remboursement de sa dette éducative. Le passage à l'indépendance est un moment de grande fragilité, car il faut construire l'Etat et la Nation. De ce point de vue, l'exigence française fut scandaleuse. La question cependant qui se pose est de savoir (problème analogue aux crimes de Vichy) si la France républicaine de 2010 est liée à la France de Charles X et sq. (qui a encaissé). Si l'on admet la version Chirac (vs Mitterrand, pour qui Vichy n'était pas la République et n'engageait donc pas la France) de la doctrine, la France d'aujourd'hui est engagée par les crimes qu'elle a commis dans son passé. Mais la doctrine Chirac parlait de reconnaissance des crimes commis (devoir de mémoire), non de leur réparation (justice corrective). Bref, du point de vue moral, le choix se fait entre 1) irresponsabilité (la France de 1825 n'est pas celle de 2010), 2) reconnaissance (la France de 2010 doit reconnaître ses crimes passés) et 3) réparation (la France de 2010 doit réparer ses crimes passés). Pour les raisons indiquées dans mon précédent message, si je suis favorable à 2 — avec quelques réserves, qui tiennent au fait qu'il ne faut pas demander à un Parlement (droit) de décider d'une histoire « officielle » (fait) — je suis très réticent au 3. La France, moralement responsable de ses actes, n'a pas à réparer le passé, mais est engagée à une responsabilité particulière pour l'avenir.
2) Sur le plan juridique. C'est le cœur de votre argument : vous dites que l'exigence de rançon d'indépendance (justifiée, du point de vue français, par le manque à gagner produit par l'abolition de l'esclavage) était illégale au regard du droit français lui-même (traité de Vienne). L'argument est judicieux, mais toute la question est de savoir devant quelle instance le porter et le défendre. La démarche qu'il faudrait entreprendre ici serait de préparer une plainte et de la présenter à une cours internationale qui en jugera de la recevabilité et de la validité. La France devra être condamnée à payer. Par quelle instance ? Si l'argument est juridique, il faut une procédure judiciaire.
3) Votre troisième argument est économique et politique. Il part très justement des problèmes inhérents à l'aide au développement (qui produit de la dépendance et des effets pervers) et à la dette. L'argumentation se déplace ici du terrain de la morale et du droit à celui de l'efficacité en matière de développement économique. Il faudrait 14 milliards pour le développement d'Haïti. On a là un argument de type utilitariste : puisqu'il faut cette somme (qui minimiserait les peines), il faut la donner. Mais, toute la question, si on se place du point de vue de l'efficacité, est de savoir quelles sont les chances de l'obtenir. En admettant qu'une manne financière serait idéale pour le développement, au nom de quoi la France (sans y être forcée juridiquement) accepterait-elle de la fournir ? Cette exigence pourrait même avoir un effet négatif dans l'espace public français, du type : « on aide déjà beaucoup ce pays » — une aide d'ailleurs souvent détournée du fait de l'absence d'un Etat construit —, il veut encore plus ; qu'est-ce qui garantit l'efficacité de cette manne ?
Voilà quelques idées présentées sans aucune certitude, et qui ne se veulent en aucun cas, — j'espère que vous le comprendrez — une réfutation de votre démarche. Elle garde à mes yeux une force symbolique très grande, qui consiste à nous rappeler des éléments cruciaux de l'histoire de votre pays et du nôtre. De ce point de vue, elle me semble pleinement sensée et politiquement efficace.
Bien amicalement,
Pierre-Henri Tavoillot
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